La CPI crée la surprise en ouvrant une enquête visant le régime

Nkurunziza 10112017 142038Deux semaines après son retrait effectif du Burundi, la Cour pénale internationale a annoncé avoir gardé secrète l’ouverture d’une enquête, visant les autorités de ce pays et leurs exactions contre les opposants.

«C’est vraiment une très bonne nouvelle» : jeudi soir, Pierre-Claver Mbonimpa joint au téléphone à Bruxelles ne cachait pas sa joie, après l’annonce le jour même de l’ouverture d’une enquête par la Cour pénale internationale (CPI) sur les crimes contre l’humanité commis au Burundi à partir d’avril 2015. Inlassable militant des droits de l’homme, récompensé par de multiples prix, Mbonimpa avait dû quitter le Burundi en 2015 pour s’installer en Belgique, d’où il apprendra que son gendre et son fils seront assassinés à Bujumbura la capitale, peu après son départ. Aujourd’hui, il fait partie d’un collectif de familles de victimes qui s’est battu pour pousser la CPI à ouvrir une enquête sur les exactions massives qui se perpétuent dans ce petit pays de l’Afrique des Grands Lacs depuis plus de deux ans.

Longtemps, Pierre-Claver Mbonimpa comme toutes les familles touchées dans leur chair par un drame qui se déroule à huis clos, a eu l’impression de crier en vain. Pourtant les preuves ne manquent pas : la plupart des organisations des droits de l’homme ont publié depuis 2015 des rapports accablants sur la dérive criminelle du régime de l’inamovible président, Pierre Nkurunziza. Dernier en date, le rapport publié en juillet par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) évoquait «un pays au bord du gouffre» et dénonçait «les dynamiques répressives d’un régime obsédé par la conservation du pouvoir».

Statut de Rome

Mais que pèse le Burundi, minuscule petit pays perdu au cœur de l’Afrique, à peine plus grand qu’un département français ? Des sanctions ont certes été imposées, par l’Union européenne, comme par Washington qui les a d’ailleurs renouvelées le 7 novembre, contre les barons du pouvoir. Sans émouvoir des dirigeants qui, de toute façon, voyagent peu, et sans jamais infléchir la répression qui s’abat sur ce pays depuis que Nkurunziza a décidé, en avril 2015, de se maintenir au pouvoir au-delà de la limite des deux mandats imposés par la Constitution.

En avril 2016, la procureure de la CPI, Fatou Benssouda avait annoncé l’ouverture d’un «examen préliminaire» sur les exactions dont se faisaient écho tant de sources concordantes. Une première étape avant l’ouverture d’une enquête. Six mois plus tard, en octobre, le gouvernement burundais pensait avoir trouvé la parade en annonçant son retrait de la CPI. Et devenait ainsi le premier pays à quitter cette cour créée en 2002. Reste que, selon les règles édictées par le statut de Rome, le retrait ne pouvait être effectif qu’un an plus tard : en octobre 2017.

La CPI est une machine lourde, souvent critiquée pour sa lenteur, sans aucun pouvoir coercitif, et parfois accusée de partialité : sur les dix enquêtes en cours, neuf concernent l’Afrique. Surfant sur la colère et la défiance exprimées de plus en plus ouvertement par de nombreux dirigeants africains contre la Cour installée à La Haye aux Pays-Bas, le régime de Nkurunziza a eu beau jeu d’agiter lui aussi le thème de «la justice des Blancs» pour justifier son retrait. Il est devenu effectif depuis le 27 octobre.

«Violences connexes»

Sauf que jeudi, coup de théâtre : le bureau du procureur annonce avoir obtenu «dès le 25 octobre», soit deux jours avant le retrait effectif, l’autorisation d’ouvrir une enquête sur les crimes commis au Burundi. Cette autorisation a été «exceptionnellement» tenue secrète et placée sous scellés, a expliqué Fatou Benssouda elle-même. «Afin de protéger l’intégrité de l’enquête et la vie des témoins et des victimes», a-t-elle précisé dans une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux.

En réalité, c’est bien la première fois que la procureure de la CPI se donne la peine d’expliquer publiquement, et aussi longuement, le cadre d’une enquête. Evoquant les meurtres «d’au moins 1 200 personnes entre avril 2015 et juin 2017», mais aussi «les milliers» d’emprisonnements et les disparitions, la procureure affirme avoir déjà recensé «entre 595 et 651 cas de tortures» et «des dizaines de cas de viols», dénonçant à plusieurs reprises dans son intervention la responsabilité d’«un appareil d’Etat» soupçonné «d’attaques systématiques» qui auraient, en outre, forcé plus de 400 000 Burundais à fuir leur pays. Le retrait décidé par les autorités ? «Il n’a aucune incidence sur la compétence de la Cour», puisque l’ouverture de l’enquête est de facto antérieure au retrait effectif, a tranché la procureure qui, outre la période délimitée, entre avril 2015 et octobre 2017, se réserve la possibilité d’enquêter également sur «des violences connexes qui continuent à être commises».

«Régime sanguinaire»

Sans surprise, les proches de Nkurunziza ont immédiatement dénoncé une décision selon eux antidatée : «une tricherie», assimilée à «la dernière carte de l’Occident». Reste à savoir comment pourra être concrètement menée cette enquête, en l’absence prévisible de coopération des autorités de Bujumbura. «Nous avons déjà collecté un très grand nombre de témoignages et d’informations. Et nous ferons venir des victimes même depuis le Burundi», assure maître Bernard Maingain, un avocat belge qui s’est battu au côté du collectif des familles de victimes dont fait partie Pierre-Claver Mbonimpa. «La CPI n’a peut-être pas de force de police pour mettre à exécution des mandats d’arrêts, mais les accusations finissent par isoler ceux qui sont ainsi stigmatisés. C’est aussi un signal fort pour tous les affreux qui pensent agir en toute impunité dans cette région», affirme l’avocat qui salue «une victoire historique».

Dès jeudi, la plupart des organisations des droits de l’homme, comme la FIDH et Human Rights Watch, qui a décerné un prix à Pierre-Claver Mbonimpa, se félicitaient de la décision de la CPI. Mais «la bonne nouvelle» a été également saluée dans le pays voisin, la République démocratique du Congo (RDC), où un mouvement citoyen d’opposition, LUCHA, s’est réjoui sur Twitter de l’ouverture d’une enquête visant «le régime sanguinaire de Pierre Nkurunziza». Tout en établissant un parallèle avec la répression dont il fait lui-même l’objet de la part du président congolais, Joseph Kabila, tout aussi accroché à son pouvoir par la force.

Par Maria Malagardis,

Laisser un commentaire